Shani et Matsuev à Verbier : la Russie s'invite sur l’alpage
C’est avec le Concerto pour piano n° 3 de Rachmaninov que le talent de Lahav Shani est plus saisissant dans sa capacité à régler les équilibres entre son orchestre et le pianiste Denis Matsuev. Une vision sereine et équilibrée se dégage de leur interprétation commune qui ne peut que ravir les auditeurs. Dès les premières mesures, on reste bluffé par le toucher de velours du géant russe, impassible, tout de concentration, sans aucune effusion. Le son est brillant, le toucher est souple mais c’est surtout la capacité du pianiste à chanter les mélodies dans une douce sérénité qui impressionne. Le chef le suit dans cette tendre évocation au lyrisme contenu qui subjugue et donne à entendre un Rachmaninov hors du commun, plein d’âme, mais sans fanfaronnade ni excès de technicité vaine.
Se distinguent plus particulièrement dans le premier mouvement un très beau basson qui vient chanter avec le pianiste, un cor solo d’un romantisme idéal et des cordes aiguës dont les étirements sensibles font plaisir à entendre – tout comme l’ombre veloutée d’un beau pupitre d’altos. La cadence du pianiste est expressive en diable, convoquant une palette de sonorités et de couleurs splendides. La reprise du thème connaît quelques délicatesses au cor, mais sans grande importance tant le piano est élégiaque !
L'« Intermezzo » est ensuite une pure réussite : le chant du hautbois est un ravissement, à l’instar de tout le pupitre de vents. Les violons étirent les phrases, l’émotion vient nous saisir, le son enfle. On peut néanmoins regretter dans les cordes un manque de couleurs et de lyrisme. Chez les violons, le son peut paraître un brin trop droit, sans chaleur, avec un manque de vibrato qui se transforme en manque de velours pour l’auditeur. Quant au pupitre des violoncelles, il manque définitivement de personnalité et n’arrive pas à prendre le relais dans les phrases lyriques de Rachmaninov, malgré un pupitre de contrebasses plus corsé.
Le troisième mouvement fait oublier ces rares réserves : tel une claque, il offre le bonheur du piano de Denis Matsuev dont on peut envisager ici toutes les facettes de la virtuosité ! Les cuivres ne sont pas en reste : la trompette est vive comme l’éclair, les scansions des trombones sublimes œuvrent au panache de l’ensemble. Fatalement, le pianiste est le roi mais il laisse la place à l’orchestre pour s’épanouir dans un dialogue somptueux de lyrisme. En témoignent les dernières mesures, aux octaves descendantes ébouriffantes, pour aboutir dans une lumière d’applaudissements!
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