Portrait de Ville - le Moscou de Denis Matsuev
Alors que Moscou accueille la Coupe du Monde et fête ses 100 ans en tant que capitale de la Russie, Denis Matsuev nous livre ses plus beaux souvenirs de cette ville.
Quelle a été votre première impression de Moscou ?
Je ne l’oublierai jamais : j’avais 6 ans, et je venais d’Irkoutsk après trois jours et demie de voyage en train. C’était un bonheur – voir les villes et les paysages défiler, changer sans cesse, puis tout à coup rentrer dans la gare Yaroslavsky de Moscou. Je m’en souviens comme hier : c’était la folie ! La place des Trois gares, les grandes tours …
Puis, mon père m’a demandé : « Sais-tu ce que c’est ? » J’ai regardé : des colonnes. « La salle des colonnes ! » (une salle de concert à Moscou, ndlr) Mais c’était le métro !
Je me souviens aussi de la foule – des milliers de gens se dépêchent tous quelque part, encore aujourd’hui. Au fond, Moscou n’a pas changé, elle a toujours vécu dans un rythme effréné, et c’est ce qui m’a plu tout de suite.
Un son, une couleur, une odeur qui vous évoquent Moscou ?
L’odeur des chocolats « Мишка косолапый » (Ourson pataud, ndlr). Les chocolats de Moscou, c’était quelque chose en URSS. Il n’y en avait pas partout, et parfois, on m’en amenait. Et j’en ai retrouvé des effluves à l’épicerie Eliseevsky. Je suis très sensible aux odeurs, elles conservent tous les souvenirs. Je me souviens encore de celle de l’appartement de ma famille à Irkoutsk, que j’ai quitté quand j’avais 15 ans. Celle du lac Baïcal, celle du poisson omoul, qui n’existe que là-bas… Le parfum de la glace Plombir, que j’avais goûtée au GUM (l’équivalent des Galeries Lafayette moscovites, face à la place Rouge, ndlr).
Pour le son – ce serait un accord parfait majeur, fort, “Ah” ! Les grandes villes comme New York ou Moscou ont une énergie à part. Moscou, c’est de la folie positive, et c’est l’état de mon âme. J’ai toujours détesté rester assis, je suis en mouvement perpétuel.
Votre quartier préféré à Moscou ?
J’adore le vieux Moscou – les Etangs du Patriarche, l’endroit où commence Le Maître et Marguerite de Boulgakov. Les rues Malaya Bronnaya, Bolshaya Bronnaya, Nikitskaya… et bien sûr le Conservatoire de Moscou. C’était mon rêve d’étudier là-bas, et l’aura de ce quartier et de la grande salle a une action magique même sur les non-musiciens.
Ce quartier est très vivant, avec plein de cafés, des jeunes… Pour moi, les jeunes sont un reflet du tempo de la ville. Et c’est l’une des grandes conquêtes de Moscou (et d’autres villes russes aussi), d’avoir des jeunes à des concerts de musique classique, ce qu’on ne voit pas beaucoup en Europe, disons-le honnêtement. Il y a un nouveau public qui a l’habitude d’aller au concert, non pas parce qu’ils sont musiciens, mais tout simplement parce que cela leur plaît, parce que cela enrichit l’âme. Il y a un véritable boum philharmonique.
Votre premier concert à Moscou ?
A 15 ans, à l’Ecole Centrale de musique où j’étudiais. En réalité, c’était un examen, mais même à l’époque, je le voyais déjà comme un concert. C’était mon premier grand succès à Moscou. Un mois plus tard, je jouais déjà salle Tchaïkovski (la plus grande salle de concert de Moscou, ndlr), le concerto n°1 de Tchaïkovski. J’ai été très vite pris dans un tourbillon de concerts organisés par la fondation « Nouveaux noms » – et joué partout à Moscou, y compris la Salle des colonnes que, enfant, j’avais confondue avec le métro.
En vérité, l’endroit où je joue a peu d’importance, cela peut être une toute petite salle polyvalente en province ou le Carnegie Hall. L’important, c’est le public.
Un ami musicien vient à Moscou pour la première fois. Où l’emmenez-vous ?
Tout d’abord, le quartier du Conservatoire, pour qu’il ressente ce qu’est le vieux Moscou. Ensuite, la colline des Moineaux – un endroit bien connu d’où l’on voit tout Moscou. Pour beaucoup de gens, il est lié à des souvenirs personnels – c’est là que les amoureux se donnent rendez-vous pour voir le lever du soleil, lorsque Moscou s’illumine sous vos pieds. C’est juste à côté du stade où auront lieu les cérémonies d’ouverture et de clôture de la Coupe du monde.
Si vous voulez bien manger – allez chez « Pouchkine », si l’on parle de cuisine russe! Mais les restaurants à Moscou sont si bons et si nombreux qu’on pourrait en faire une interview entière. J’aime aussi Village Kitchen, qui se trouve sur le terrain du Club de golf de Moscou et où l’on sert les cuisines juive et du Caucase. C’est un copain à moi, amateur d’opéra, qui en est le propriétaire. J’y emmène tout le monde après les concerts – on peut y passer toute la nuit!
Quel est le lien entre Moscou et la musique russe ?
Plutôt que Moscou, je parlerais de Russie – il faut avoir vu nos espaces pour comprendre la puissance que renferment la musique de Rachmaninov, de Tchaïkovski, de Prokofiev…
Qu’est-ce qui est possible à Moscou, et nulle part ailleurs?
Moscou diffère en ceci des villes européennes qu’il y a un nombre incalculable de restaurants – même gastronomiques – qui servent 24h sur 24h. L’un des problèmes essentiels des musiciens, c’est que, lorsque le concert se termine vers 22h, tout est fermé ! Au mieux, on termine avec un room service… A Moscou, ce n’est jamais le cas, et l’accueil est toujours très chaleureux.
Qu’est-ce qui vous manque lorsque vous n’êtes pas à Moscou ?
Mon Baïkal ! C’est l’endroit le plus magique au monde. Le lac le plus profond, le plus pur… Un tiers des réserves d’eau potable du monde, c’est le Baïkal ! J’y organise un festival chaque année, en septembre. Y viennent les musiciens les plus connus.
Et j’ai un rituel. Je possède une petite barque – un petit yacht avec une bania (un sauna russe, ndlr) embarqué à l’arrière. Je ne peux pas vivre sans la bania ! Zubin Mehta, Valery Gergiev, Yuri Temirkanov, Vladimir Spivakov… tous participent à ce rituel. Je les flagelle moi-même avec les branches de bouleau (composante essentielle de la bania russe, ndlr). Et après, on plonge dans le Baïkal, où l’eau est à 8-9 degrés.
Denis Matsuev fait la démonstration de la “flagellation” dans la bania russe:
Après cela, on ressent un tel regain de forces que l’effet dure la moitié de l’année – en tout cas, je tiens mon planning de 256 concerts par an grâce à l’énergie de cet endroit, qui recharge tout le monde. Après ça, on ne peut pas mal jouer.
D’ailleurs, mon récital chez vous le 17 septembre, ce sera juste après ma prochaine baignade – alors ce sera une ouverture de saison passionnée, je vous le garantis !
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